Vue d'Arabella
"Les filles, debout! Le petit déjeuner sera servi dans dix-huit minutes. Bougez-vous maintenant!" cria la directrice, frôlant de peu la rupture de mes tympans.
Toutes les filles bondirent de leur lit, créant un bruit sourd et régulier, pendant que je grognais simplement et attrapais mon oreiller pour couvrir mes oreilles. J'avais besoin de plus de sommeil.
Une personne a besoin en moyenne de neuf heures de sommeil, tandis que moi, j'en ai besoin d'environ 14. Je fais une sieste lorsque j'en ai l'opportunité.
"Ari, bouge-toi. Tu vas encore avoir des problèmes." Lilia chuchota à mon oreille, tout en me secouant frénétiquement comme une femme hystérique.
Lilia a toujours été une maniaque des règles et de la ponctualité. Mon retard met automatiquement notre dortoir sur le radar, et Lilia ferait tout pour rester inaperçue.
Je devrais le faire aussi. Je devrais essayer de rester le plus discrète possible, mais je n'aime pas l'autorité. Je fais mes propres règles.
Pas par choix, c'est simplement inscrit dans mon ADN, je suppose. Je tiens ça de ma mère. Une des rares choses que je sais à son sujet est qu'elle détestait les règles et a même tenté de s'échapper plusieurs fois, causant sa mort prématurée.
J'ai protesté lorsque Lilia a essayé de me tirer par le bras pour me lever. Finalement, elle a réussi à me mettre en position assise et a ensuite attrapé la bouteille vaporisatrice cachée sous mon lit pour m'asperger.
J'ai toussé et crachoté lorsque l'eau m'a frappée avec une telle force que je n'ai eu d'autre choix que d'ouvrir les yeux et de me réveiller. Je l'ai fusillée du regard, pendant qu'elle rigolait.
C'était notre quotidien du matin. C'était aussi la seule forme de divertissement que nous ayons jamais. Chacune des filles de notre dortoir a caché des vaporisateurs sous leur lit, que nous avons amassés au fil des années.
Ce sont de vieilles bouteilles qui étaient autrefois remplies de produits de nettoyage, mais maintenant nous les utilisons comme outil pour nous rafraîchir en été, coiffer nos cheveux ou même pour des batailles d'eau.
Nous sommes six en tout, ce qui signifie trois lits superposés disposés autour de la petite pièce. Nous avons une salle de bain reliée à la chambre qui ne peut à peine contenir deux personnes, donc le timing est primordial.
Lorsque nous avions sept ans et que nous étions pleinement capables de parler, lire, écrire et nous organiser, nous avons élaboré un emploi du temps qui garantissait que tout le monde avait le même temps dans la salle de bain. En ce moment, nous sommes à la quatrième minute, ce qui signifie que c'est la première minute de Rachel dans la salle de bain.
Les filles savent que je suis la plus lente à sortir du lit, donc j'ai les trois dernières minutes, avec lesquelles je suis parfaitement satisfaite.
"Tiens," murmura Lilia, me lançant ma robe bleue, pendant qu'elle enfilait la sienne.
Lilia est ma meilleure amie et la chose la plus proche que j'ai d'une famille.
Nous partageons notre chambre depuis que nous avons quatre ans. Nous faisons tout ensemble, enfin presque tout, évidemment, je ne vais pas la laisser me regarder faire pipi.
Elle est ma partenaire, ce qui signifie que nous nettoyons, étudions, socialisons et mangeons ensemble. Nous avons vraiment seulement besoin l'une de l'autre.
Ne vous méprenez pas, les autres filles de notre dortoir sont aussi mes amies mais je ne les aime pas comme j'aime Lilia.
"Lilia, douzième minute." appelle Yasmin, envoyant Lilia dans un tourbillon. Elle plie rapidement ses vêtements, enfile ses chaussons, attrape son peigne et sa brosse et se précipite dans la salle de bain.
J'enlève mon chemisier, dévoilant ma poitrine nue, mais personne ne s'en soucie vraiment. La nudité n'est pas vraiment un problème quand vous partagez une chambre et une salle de bains avec cinq autres filles toute votre vie.
Je ferme l'agrafe de mon soutien-gorge couleur chair et je passe ensuite la robe bleue par ma tête. J'enfile mes chaussures noires et commence à tirer un peigne à travers mes cheveux emmêlés. Je prends mon collier en forme de demi-crescent, la seule chose qui me reste de ma mère, et je ferme rapidement l'attache.
"Minute 15." appelle Carly et je prends mes articles de toilette, tapant dans la main de Lilia alors que nous nous croisons en chemin. C'est une blague courante parmi les filles que la directrice fait cela pour améliorer nos capacités de tag team.
Mon matériel tombe de mes bras sur l'évier et je fouille dans le désordre jusqu'à ce que je trouve ma brosse et mon dentifrice. J'en mets un tout petit peu, comme nous n'avons qu'un tube par an, et je me brosse fébrilement les dents.
Je fais rapidement mes choses puis je me regarde une dernière fois dans le miroir.
Ma peau bronzée est claire, dieu merci j'ai dépassé ces années d'acné d'adolescente, et mes longues mèches d'ébène sont nouées en une tresse serrée qui pend sur mon épaule.
J'aime à penser que je suis jolie, je veux dire, certainement pas la plus belle, certaines filles d'ici sont magnifiques. Par exemple, je tuerais pour avoir les boucles dorées de Lilia ou les lèvres pulpeuses de Carly.
Avec mon petit nez droit, ma mâchoire tranchante et mes lèvres naturellement rosées, c'est suffisant pour faire tourner les têtes, ce qui est génial compte tenu du but de cet endroit. Ce qui me fait vraiment sortir du lot, cependant, ce sont mes yeux. Ils sont d'un bleu céruléen très foncé avec des nuances de vert qui tourbillonnent à l'intérieur.
La directrice dit que ce sera cela qui va me faire vendre. Confus? Je m'explique.
Il y a environ trois cents ans, le monde est parti en vrille. Je parle de guerres nucléaires, de bombes atomiques, de destruction et de perte totales.
Une fois que toute la mort et la guerre ont stoppé, il ne restait plus que 6 humains vivants. Ils se sont cachés dans des grottes au sommet du Mont Everest pour éviter le chaos et ont pratiqué la sorcellerie en utilisant des dessins et des manuscrits anciens trouvés sur les murs.
Oui, la magie existe mais malheureusement, seuls ceux qui vivent dans le royaume ou des parties très reculées des secteurs la pratiquent. Je n'ai personnellement jamais vu la magie effectuée de près, bien que la perspective de celle-ci me soit très attrayante.
Ils ont commencé à repeupler la Terre, en utilisant un sort spécial de fertilité qu'eux seuls connaissent encore à ce jour.
Au fur et à mesure que la population humaine s'accroissait, ils savaient qu'ils devaient rétablir le contrôle et l'ordre. Ils ont cru que la démocratie était la cause de la fin et ont donc réintroduit la monarchie dans la société.
Le plus vieux et le plus puissant, a donné un continent à chacun des humains restants pour régner et surveiller. Le Royaume de Dahlia, où je vis malheureusement, je pense que c'était un endroit appelé Amérique.
Le plus vieux dominait Dahlia d'une main de fer pour s'assurer que le passé ne se répète pas et il divisa Dahlia en six secteurs, sans inclure le royaume principal.
Cependant, avec le temps, la population humaine a grandi, de nouvelles traditions, idées et règles sont apparues.
La plus importante de toutes, les femmes sont moins. Oui, la société est revenue à son ancienne manière sexiste, du moins ici. Les femmes sont considérées comme rien et ne sont censées avoir que deux buts dans la vie: faire des bébés et donner du plaisir.
C'est tout le point de cette malade 'académie' dans laquelle je vis. On nous apprend comment être la parfaite femme au foyer.
On nous apprend tout sur le nettoyage, le sexe et la garde d'enfants, mais nous apprenons aussi les choses régulières que vous auriez apprises il y a trois cents ans. Les mathématiques, l'anglais, l'histoire, la géographie, la science, etc.
Ils ne veulent pas que nous soyons stupides, je veux dire après tout, qui voudrait d'une femme stupide. Plus vous êtes intelligente, jolie et fertile, plus vous valez le jour des enchères.
Le jour des enchères est le jour que toutes les filles redoutent. Une fois que chaque fille de votre étage a 18 ans, vous êtes emmenée à la maison des enchères, où vous êtes testée, déshabillée, et notée sur dix.
Personne n'obtient jamais dix, puisque personne n'est parfait et toute la chose est dégoûtante. Une fois que nous sommes notées, nous sommes exposées comme des chiens de spectacle pendant deux semaines.
Ce laps de deux semaines est la seule période de l'année, pendant laquelle les hommes peuvent s'acheter une épouse. C'est un chaos complet et total, mais aussi fou que cela puisse paraître, vous êtes en fait considérée comme chanceuse si vous êtes achetée.
Les autres filles qui ne le sont pas sont expédiées dans des laboratoires, où elles sont fécondées par in-vitro et gardées là jusqu'à ce qu'elles accouchent. Les scientifiques essaient d'obtenir autant d'enfants qu'ils le peuvent des femmes, avant de les "jeter".
Si tu donnes naissance à une fille, elle est emmenée à l'académie et si tu donnes naissance à un garçon, il est emmené pour être élevé et formé pour travailler.
Dans tous les cas, tu n'as pas la possibilité d'élever ton enfant.
L'académie abrite des filles de tous âges et possède un étage pour chacune. Comme j'ai 18 ans, je vis au dernier étage.
Une fois que la dernière fille a 18 ans, nous serons expédiées et les filles en dessous de nous monteront ici, puis celles qui vivent en dessous d'elles monteront à leur étage, etc.
C'est un cycle continuel de misère qui ne finira jamais.
Ce processus entier se déroule dans chacun des six secteurs, le septième secteur est le royaume principal où vivent les royaux et ceux qui sont nés de haute noblesse. En d'autres termes, les snobs.
Ma mère était le sujet 1875, tandis que mon père était l'éprouvette 45. Dieu seul sait combien de demi-frères et sœurs je dois avoir qui se promènent, mais je ne le saurai jamais. Aucun de nous ne le saura.
Il est interdit de parler de nos parents, je suis l'une des seules personnes qui connaissent le sort de leur mère et ont quelque chose pour se rappeler d'elle. Aussi longtemps que je me souvienne, j'ai toujours porté ce collier et je continuerai à le porter jusqu'à la journée de ma mort.
Comme je l'ai dit auparavant, elle était une transgresseur des règles et la directrice ne me laisse jamais l'oublier. Apparemment, son insubordination constante était la cause de son sort. Elle aurait été achetée à un très haut prix si ce n'était pour sa langue. Je suis pareil, mais je sais comment me contrôler.
Je ne passerai pas ma vie à être une couveuse humaine. Je veux quelque chose de mieux, quelque chose de plus.
